Procope de Césarée, Histoire des guerres de Justinien


Livre 5 :
À eux attenant [aux Francs] habitaient les Arborykhes qui, avec tout le reste de la Gallie et avec l'Hispanie aussi, étaient, dès les temps anciens, sous l'obéissance des Romains. Après eux, vers le soleil levant, s'étaient établis, avec l'agrément d'Auguste, le premier roi [empereur], d'autres barbares, les Thoringes ; non loin d'eux habitaient les Burguzions dans la direction du sud. Les Suèves aussi vivaient au-delà des Thoringes et des Alamans, nations puissantes. Tous ceux-là s'établirent en ces lieux comme peuples autonomes. Le temps s'avançant, les Wisigoths, imposant leur force à l'empire romain, saisirent toute l'Espagne et la partie de la Gaule au-delà du Rhône et les firent sujettes et tributaires. Il se trouvait alors que les Arborykhes étaient devenus les soldats des Romains. Les Germains [Francs], voulant faire des sujets de ces voisins qui avaient rejeté leur ancienne forme de gouvernement, les pillèrent d'abord, puis, poussés par l'amour de la guerre, marchèrent en masse contre eux. Les Arborykhes, montrant leur valeur et leur dévouement pour les Romains, se conduisirent en braves dans cette guerre et les Germains, n'ayant pu les vaincre par la force, voulurent s'en faire des amis et des parents par alliance. Ces propositions, les Arborykhes les accueillirent volontiers, car ils étaient chrétiens les uns et les autres : ainsi réunis en un seul peuple ils arrivèrent à un haut degré de puissance.

Livre 5 :
D'autres soldats des Romains avaient été postés aux extrémités du pays des Galli pour les garder. Ces soldats, ne pouvant revenir vers Rome, et ne voulant cependant pas céder à leurs ennemis qui étaient ariens [les Wisigoths], se donnèrent, avec leurs étendards militaires et la terre qu'ils avaient longtemps gardée pour les Romains, aux Arborykhes et aux Germains. Ils transmirent à leurs descendants, qui aujourd'hui encore les gardent avec respect même en mon temps [vers 550], toutes les coutumes de leurs pères qui furent ainsi préservées. Car, même maintenant, on les reconnaît clairement comme appartenant aux légions dont ils faisaient partie autrefois, et ils apportent leurs propres étendards quand ils arrivent au combat, observant toujours les lois de leurs pères. Ils gardent le costume des Romains, en tout jusqu'aux chaussures elles-mêmes.

Ces événements semblent se placer juste après la conversion de Clovis.

Livre 8 :
Je dois rappeler une histoire qui ressemble de près à la mythologie, une histoire qui ne me paraît pas du tout digne de confiance, bien qu'elle soit constamment rapportée par de nombreuses personnes qui affirment avoir fait l'acte de leurs propres mains et entendu les mots de leurs propres oreilles. Cependant, je ne peux l'omettre, de peur, en parlant de l'île de Brittia, de gagner une réputation d'ignorance de ce qui advient là-bas. Ils disent que les âmes des morts sont toujours transportées en ce lieu. Quant à la manière dont cela se fait, je vais l'expliquer, car j'ai entendu souvent les gens le décrire très sérieusement, bien que je sois parvenu à la conclusion que les histoires qu'ils content doivent être attribuées au pouvoir des rêves.

Le long de la côte de l'Océan qui se trouve en face de l'île de Brittia, il y a de nombreux villages. Ceux qui les habitent pêchent avec des filets ou labourent le sol ou commercent avec l'île ; étant à d'autres égards sujets des Francs, ils ne leur paient aucun impôt ni tribut. Ce fardeau leur est ôté depuis longtemps en raison d'un certain service que je vais décrire. Les gens de ce lieu disent que le transport des âmes leur est confié tour à tour. Ainsi les hommes qui doivent la nuit suivante aller faire ce travail en relevant les précédents, dès que la nuit tombe, rentrent chez eux et dorment, attendant celui qui doit les rassembler pour l'entreprise. À une heure tardive de la nuit, ils entendent que l'on frappe à leur porte et qu'on les appelle distinctement pour leur travail commun. Sans hésitation, ils se lèvent et vont au rivage ; sans comprendre ce qui les poussent, ils sont contraint de le faire. Ils voient là des bateaux prêts sans personne à bord, non pas leurs bateaux à eux, mais d'autres dans lesquels ils embarquent et saissisent les rames. Ils perçoivent que les bateaux sont chargés de nombreux passagers et sont mouillés par les vagues jusqu'au plat-bord et aux tolets, n'ayant même plus un doigt de franc-bord, cependant ils ne voient personne. Après avoir ramé une seule heure, ils arrivent en Brittia. Et pourtant quand ils traversent dans leurs propres bateaux, sans employer les voiles, en ramant, ils font avec difficulté le voyage en une nuit et un jour. Alors, quand ils ont atteint l'île et ont été déchargés leur fardeau, ils repartent à toute vitesse, leurs bateaux légers maintenant et hauts sur l'eau, car seule la quille est immergée. [...].



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